114 – TDS – Sur les traces des ducs de Savoie… 2/2

Les drones s’envolent, le commentateur braille dans les haut-parleurs malgré l’heure matinale, le départ est donné en musique, comme pour toutes les courses… Mais rien ne bouge pendant un bon moment.

0km, 0m de dénivelé, 1’700ème ou presque…

Moment du départ
@Le Père Indigne

Ça finit par avancer doucement, mais Le Père ne court pas avant d’avoir passé la ligne de départ… L’émotion du départ, quelle que soit la course, est géniale ! Il est 4 heures du mat et les rue de la bourgade sont pleines de monde qui sont là pour encourager chaque coureur !

Au premier resserrement de la route quelques mètres plus loin, on s’arrête… Il y a plus de 1’700 coureurs, forcément ça bouchonne pendant pas mal de temps… On trottine et un bout de plat est avalé, puis la première montée commence. Le Père double des gens régulièrement, sans forcer, surveillant régulièrement son rythme cardiaque : il ne part pas pour une petite distance, ce serait ballot de cramer dès le début !

La première montée est avalée plus ou moins rapidement, ralentie parfois par des concurrents qui bloquent un peu le chemin… On arrive au ravito du Lac Combal. Le Père jure à propos de l’application sensée le localiser qui est HS sur la partie Italie. Il découvre le premier message de Madame ainsi que de son binôme ! Là, Le Père se doit de marquer une courte page de pub…

Le Binôme ! Non content de supporter, subir et traîner Le Père dans d’innombrables sorties (oui, parfois assez galères et une fois ou 2 carrément limites), de le tirer en haut et de l’attendre dans les descentes, de planifier ses courses et de lui calculer ses temps de passages même lorsqu’il ne participe pas aux mêmes trails, de lui faire un roadbook de professionnel et de l’écouter 24h sur 24 qu’il doute ou se plaigne, le Binôme va le suivre, l’encourager, lui faire ses commentaires de coureur tout au long de ces 2 jours !!!! Le Binôme n’est pas le seul… Madame, qui feint de ne pas s’intéresser aux courses du Père, doit être tendue ou intéressée, car elle va aussi lui envoyer des messages et encouragements, du début à la ligne d’arrivée !!! No 1 et 2 enverront eux aussi des messages, ainsi que des copains… Ça n’a pas de prix !

Trouver un message quand on est dans le dur, que les gens abandonnent à droite et à gauche, tombent comme des mouches, que l’on est loin dans sa tête pour puiser les dernières miettes de résistance, ça fait probablement la différence entre l’abandon et continuer de marcher ! Que tous ces soutiens soient ici remerciés !!!

15,3km, 1’316m de dénivelé, 972ème.

Le Père mange un tout petit peu et remplit ses gourdes (en ajoutant d’un côté son électrolyte – complément de boisson pour ajouter des sels minéraux, sucres et autres drôleries joyeuses dans l’eau) avant de repartir. L’application fournie par la course ne veut toujours pas se mettre à jour, donc personne ne peut savoir où il se trouve, mais Le Père n’a pas que ça à faire et poursuit son chemin…

Nous passons le col de Chavannes, l’un des plus hauts du parcours et poursuivons pour le col du petit Saint-Bernard, ravito où nous quittons l’Italie pour passer en France. Nous en sommes à 36km

@Le Père Indigne

, jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien… Et Le Père est plutôt bien en avance sur le planning, comme lui fait remarquer son Binôme, qui s’inquiète qu’il parte trop vite !

35,6km, 2’442m de dénivelé, 890ème.

Le vent souffle et il a mis son coupe-vent (le machin sexy plus ou moins transparent, bouffonnant et informe, mais qui tient chaud et te protège de la numidité pendant longtemps !) sur la fin de la montée. La descente sur Bourg-Saint-Maurice va commencer, lieu de naissance du Père (signalée par une modeste statue en or blanc de 19 mètres qui orne la place de l’église, en l’honneur du Père, avec cette plaque tout en simplicité : En ce lieu, IL naquit).

Le Père entame la descente… et là, c’est le drame : tout de suite, il a mal au genou droit. Plus c’est pentu, plus il peine à avancer, marche, essaie de courir à nouveau, remarche et il se fait dépasser par tout le monde, dont des grand-mères avec leurs yorkshires avec une patte cassée…

Il court un peu mais marche la plupart du temps, c’est long et déprimant de se faire redoubler par tous ces gens dépassés depuis le départ… Comme la descente dure, il en profite pour un sms urgent à son équipe de soutien en milieu local : son père !

« Besoin de 2 pansements larges, d’un bout de ficelle, d’un grelot et d’un Lion (la barre chocolatée, pas le félin), plize !
– Euh… tu veux du saucisson ?! (Il faut dire pour la défense père du Père que les grelots sont des petits saucissons secs savoyards aux noix… On pourrait s’y méprendre !)
– Non, une clochette… Un grelot quoi ! Si tu trouves. Merci. »

Au Petit Saint-Bernard, il était dans les 890ème, pas de quoi fanfaronner, mais acceptable… en bas de la descente, il n’est plus que 1’000 ème. Ça pique au moral, mais qu’il ne soit pas dit que cela arrêtera Le Père !

En entrant dans Bourg-Saint-Maurice, sous les acclamations de la foule en délire, il retrouve son père venu le soutenir… Un peu plus loin, c’est le fan club au complet : 7’000 personnes amassées sur la place de la gare scandent son nom avec des bannières…

50,6km, 2’466m de dénivelé, 1’054ème.

Ok, ils ne sont pas 7’000… Mais il y a quand même père et mère, 2 tantes et une 3ème qui fouille les sacs (plan vigipirate, on ne sait jamais des fois qu’un trailer fou transporterait une charge pour faire péter une montagne ou détourner un ravito… Je déconne, elle contrôle que les coureurs ont bien le matos minimal requis !), un oncle et une cousine.

Il y a aussi un supporter inattendu : un membre de Léman Trail, le groupe Facebook, me demande si j’ai besoin de quelque chose !!! Ils sont partout !!! Ca fait chaud au cœur, c’est fantastique… Il informe Le Père que l’autre coureuse du groupe est, pour le moment, derrière lui, elle a été coincée dans les bouchons du départ et a perdu du temps… Elle est à une demi-heure, il semble, ce qui me surprend : elle a un niveau bien meilleur que Le Père et il est vraiment parti dans les derniers du peloton !

J’ai mon Lion, en fait plusieurs Mars, mais ne soyons pas plus royaliste qu’Elisabeth, ça va le faire pour le moral et le goût, une cloche (vu le format, on ne peut pas parler de grelot ou de clochette, on est proche du format que trimbalent les vaches lors de la désalpe…), non je rigole, elle est petite, ça va aller pour mon urgence.

Mes supporters m’accompagnent jusqu’à l’entrée du ravito, car j’ai oublié de prendre les tickets qui leur permettraient de rentrer dans le ravitaillement pour m’accompagner…

Là, je perds du temps : du monde pour remplir les gourdes, du monde chez les secouristes, qui n’ont même pas de tape pour faire mon autre cheville… Mais un gars qui se fait soigner m’en propose et me sauve ainsi la vie… enfin la cheville… Je lui enverrai un exemplaire dédicacé de mon livre comme remerciement éternel de sa camaraderie !

Donc je repars plus d’une demi-heure après, derniers bisous familiaux et je commence la redoutée montée menant au passeur de Pralognan… Il fait chaud, la météo a, est-ce besoin de le dire ?, une nouvelle fois bien merdé et nous nous retrouvons en plein cagnard au lieu de la légère pluie ou des nuages annoncés.

Bourg-Saint-Maurice était au kilomètre 51; là nous sommes face à 16km jusqu’au prochain ravito avec plus de 1’600m de dénivelé. Avec la chaleur, c’est l’hécatombe : personne n’a assez d’eau et la première montée pique. C’est raide et passé les arbres, des gens commencent à s’allonger dans l’herbe pour se reposer ou parfois dormir…

Ça monte et je cause un moment en anglais avec un Brésilien qui est en vacances en Europe, venu pour l’UTMB. Causer avec des gens fait passer le temps et un peu oublier les douleurs…

« Allez Le Père !!! » 

C’est une amie de la famille, bénévole elle aussi, qui encourage. Elle a appris à skier à ma princesse et connaît très bien le père du Père. Ça fait du bien au moral et aide à avancer encore…

On approche d’un bâtiment, et d’un sommet, je croise un grand qui a l’air mal en point…

« Mets-toi debout ! Je t’accompagne jusqu’au sommet !
– Désolé, mais j’ai des chutes de tension, dès que je me mets debout… Je préfère m’allonger pour ne pas tomber…
– Tu as à boire ? à manger ? 
– Je n’ai plus d’eau, mais ça va ! »

Le Père repart. Plus loin, il croise un trailer qui n’est pas dans la course et descend dans sa direction…

« Salut, tu aurais de l’eau ?
– Oui, je vais t’en donner…
– Non, ça va aller, cependant il y a un grand cake un peu plus bas qui est en détresse… 
– Ok je vais aller le voir ! »

Au niveau de la bâtisse, il y a un jet d’eau, simple tuyau d’arrosage qui coule, pas de ravito. Nous essayons tous de remplir nos gourdes qui sont toutes vides… Il y a d’autres choses, mais c’est un restaurant et il faut payer… Comme Le Père n’a pas d’euro, il repart.

56,0km, 3’618m de dénivelé, 1’130ème.

Montée au Passeur de Pralognan, en arrivant au sommet, un officiel dit de s’habiller car il y a du temps d’attente… Le coupe-vent ressort, on attend… on attend… on attend… on cause et on attend encore. On perd 35-45 minutes et on passe le sommet. La descente est presque verticale, avec des cordes pour se tenir… On est sensé y passer un par un, mais il y a 3 personnes par corde. Le Père n’a pas de problème avec ça : il est lourd et ne risque rien.

62,3km, 4’373m de dénivelé, 1’137ème.

Il apprendra plus tard qu’une coureuse du groupe Léman Trail a failli tomber quand un crétin s’est élancé sur la corde qu’elle tenait… Elle s’est rattrapée in extremis, mais le choc contre la paroi a laissé des traces : elle abandonnera peu après… Le Père est dévasté : elle est bien plus affûtée que lui, plus en forme, plus entraînée et aurait dû aller au bout !

Après la partie escalade / descente en rappel, on rejoint un chemin pour les 4×4… Le Père retrouve sa mère et un ami de la famille qui ont fait le tour de la montagne en bagnole et un bout à pied… Bien que le règlement l’interdise, elle donne un peu d’eau au Père et 1 ou 2 barres chocolatées. Le Père est bien en retard à ce stade, il salue, remercie et repart en trottinant… Sa mère continue à distribuer eau et vivres à ceux qui le souhaitent…

Le Père n’a même pas songé à lui demander de noter les dossards des assistés pour les dénoncer !? En faire éliminer 5-6 lui aurait fait passer de la 1500ème à… ok, la 1494ème place ! Ça ne se fait pas en trail, ce sport déteint vraiment trop sur Le Père : depuis quand on la joue à la régulière !?

66,7km, 4’389m de dénivelé, 1’160ème.

Au ravito du Cormet de Roseland, Le Père arrive très concentré… Il en bave et ne tient plus debout que par la volonté de son legging et un peu d’équilibre incertain. Il va directement au rayon massage du ravito. Courte attente et une kiné le prend en charge.

« Bonjour, c’est pour une urgence !
– Vous êtes blessé ?!
– Non, je ne crois pas…
– Je vous masse ?
– J’ai un problème de genou à droite, il faut aussi faire le gauche, masser les petites pattes arrières si possible et vérifier les tapes aux 2 chevilles, je ne suis pas sûr que ce soit assez serré…
– Mais ça va ?
– Ben non !!! Pourquoi je fais ça… en payant en plus !?
– C’est clair, pas malin. »

Quelqu’un met une couverture sur Le Père, joli geste, il n’avait pas l’impression d’en avoir besoin, mais c’est vraiment bien… La jeune lui parle en massant… Le massage détend la viande, mais ça pique comme un plaquage par Chabal énervé, à la grande époque !!! Quand tu as mal de partout, un massage vigoureux fait du bien… mais surtout après coup ! Sur le moment, tu as l’impression que des morceaux vont tomber et qu’on t’arrache une jambe ! Elle commence à regarder les chevilles, remet une couche sur la droite, l’autre tient le coup. Elle regarde le genou droit, le tape de partout, puis se penche sur le genou gauche…

« Ah, je l’ai mal mis…
– Ok… Aaaaaaaaaarrrrggggghhhhhhhhhh !!!!!!
– Désolé, fallait que je l’arrache vite, c’est plus facile… Voilà, c’est tout bon ! »

Le Père s’assoit, quelque peu réveillé par l’épilation du genou… La collègue kiné arrive :

« Ah ben ça va mieux on dirait !
– ?!?
– Oui, vous avez repris des couleurs ! Quand vous êtes arrivé j’ai cru que vous alliez tomber dans les pommes… »

Pas le temps de rigoler, Le Père remplit ses gourdasses et repart sans réfléchir… Nous sommes au kilomètre 67, Le Père a un temps de répit où il n’a pas trop mal. Moment de béatitude magique, mais bref… Les genoux ne se manifestent plus pendant un temps, il peut bombarder un peu (enfin, à son niveau, donc à la vitesse du tapir qui aurait ses 2 petites pattes arrière pétées…). Direction le ravito de la Gittaz.

La nuit tombe, on court depuis plus de 20h… Ce n’est pas toujours facile, mais ça va encore. J’arrive à la Gittaz tard, par rapport à mes temps de passage, mais pas totalement désespéré. Le ravito ressemble à une zone de guerre : des gens vomissent, d’autres abandonnent, certains dorment sur les bancs ou les tables… Le Père fait un arrêt au stand (les toilettes sont corrects, ce qui est suffisamment exceptionnel pour être noté), prend du bouillon, du coca et rempli à nouveau ses bidons… Il repart.

74,7km, 4’764m de dénivelé, 1’158ème.

Là, il fait nuit depuis un moment, il est près de 23h, les gens sont crevés, épuisés. On n’est pas sur le devant de la course, clairement plus depuis des heures, surtout avec l’arrêt de 30 minutes à Bourg-Saint-Maurice, la perte de temps dans la descente du petit St-Bernard, l’attente au Passeur et l’autre de plus de 30 minutes pour les massages et scotchages. On arrive dans la zone que Le Père appelle la zone des morts-vivants… Ouaip, les zombies ! Tu vois la démarche, comme dans les mauvais films ? Pareil… Les gens marchent plus ou moins consciemment, titubent, s’arrêtent, certains abandonnent…

Dans la montée suivante c’est l’hécatombe : Le Père remarque une forme au bord du chemin, il détourne vite le regard pour ne pas déranger avec sa frontale : c’est une personne qui s’est arrêtée pour dormir, allongé par terre. Plus on monte en direction du col de la Gittaz, plus il y a de personnes au bord du chemin. On approche des 20 heures de course, Le Père commence à mollir… Attaque de paupières, motivation en rade, la montée fait mal… Le Père se demande s’il ne va pas, lui aussi se poser sur le bord du chemin…

Il a mal, les genoux sont de retour dans les descentes, il pense avoir 2 cloques, et on se rapproche du noyau…

Le noyau, c’est un moment spécial où tu reviens à la base… Oublié toutes les douleurs, tu rentres dans ta tête et il n’y a plus rien, juste toi ou plutôt l’essence de toi… La somme de tout ce qui te fait concentrer en un minuscule point… Une somme qui est aussi toute ton énergie, toute ta volonté, ce que personne ne peut casser ou atteindre, ce que personne ne peut plier ou écraser, t’enlever ou tuer.

Et là, sans raison, Le Père s’énerve.

Contre lui-même, seul sujet digne de ses colères les plus pures, les plus froides, il se parle, comme toujours, mais ça chauffe ! Et… Ça marche !

Le Père tape du bâton, il ne s’appuie plus simplement dessus… Il pousse, s’insulte, s’énerve, mais ce n’est pas négatif… Une nouvelle énergie l’emplit… Noire, mais tellement présente, partout, c’est un battement, un son sourd, une poussée inespérée…

Il dépasse tous ceux qui sont devant lui et atteint le sommet, presque facilement. Ça descend un peu, ça remonte, redescend, remonte… c’est long… Mais avec la colère qu’il entretient, ça va… Il arrive à l’interminable descente sur Beaufort, la base de vie. Il plie ses bâtons, notant au passage que la partie télescopique est tassée… Le Père s’est tellement énervé sur ses bâtons qu’il les a partiellement repliés !

84,7km, 5’814m de dénivelé, 1’079ème.

La descente est longue et fait très mal. Certains bouts sont si pentus que des gens tombent, il faut de très bonnes semelles pour rester debout ! Le Père en bave, ferme tout et se retire dans sa tête à nouveau.

Proche de Beaufort, il s’aperçoit que sa montre est éteinte !?!? Pas d’avertissement, elle s’est juste éteinte sans crier gare ? Le Père était trop fatigué et n’a pas fait attention ? Difficile à croire qu’il n’a pas entendu ou senti les 3 sonneries de rappel et vibrations, mais il faut le constater, il n’aura pas de preuve de son passage à la TDS sur Garmin en un seul morceau !

Il finit par arriver à Beaufort, puis au ravito. Il va directement aux tables de massage et demande qu’on s’occupe de ses genoux, ses cloques et de ses chevilles… Il s’assoupit 5 minutes. Au réveil, la kiné lui annonce : j’ai rien fait pour les chevilles et les genoux et les cloques sont toutes petites, ça va aller !

Là, il faut plaider pour le manque de sommeil et la confiance du Père en l’être humain et en les bénévoles en particulier… Le Père ne se méfie pas et va récupérer son sac. Il se change, donne sa montre chez Garmin pour la faire charger (ce qui s’avère être une erreur, sa batterie de secours l’aurait probablement mieux et plus rapidement rechargé…), mange un peu dans une bouteille coupée en 2 (l’idée de manger des pâtes dans son gobelet souple et minuscule ne le motive pas trop…), traîne et finit par se réveiller et partir moins de 30 minutes avant la barrière horaire…

92,7km, 5’850m de dénivelé, 1’119ème.

Le Père repart, titubant, dans la nuit qui se termine. Il commence à être sérieusement fatigué, à perdre un peu de précision dans les pas, mais c’est de la montée, ce n’est pas aussi grave que dans une descente en courant… Il se dit que les quelques minutes dormies ne sont pas suffisantes et qu’il va falloir encore se reposer s’il veut terminer… C’est prévu, il y a le ravito de Hauteluce qui est à 6km de Beaufort et en allant à un bon rythme, il peut chopper quelques minutes de repos…

La montée est longue, la fatigue se fait sentir, Le Père doit parfois s’appuyer contre un arbre ou une barrière et lutte pour garder les yeux ouverts. Il arrive au ravito. La barrière horaire est à 8h, Le Père s’assoit à 7H20 sur un banc. Dans sa tête, c’est clair, il a le temps : la barrière est à 8h30 ! Il met 2 alarmes sur sa montre pour 8h10 et 8h15 et s’endort en posant la tête sur la table.

Le Père se réveille tout seul, avant les alarmes, avec la tête beaucoup plus claire ! Il est 7h40 passé et devant lui, un panneau rappelle que la barrière horaire est à 8h !!!! Le Père se rééquipe, remplit ses flasques et repart quelques minutes avant la barrière… Il est effondré ! Comment a-t-il pu se tromper sur la barrière horaire !? Elle figure sur la carte plastifiée qui lui sert de repère, et est affichée au ravito !!!

99,0km, 6’368m de dénivelé, 1’131ème.

Ça monte. C’est long, il commence à faire chaud, le soleil tape, mais Le Père ne va pas trop mal. Il affiche plus de 3h25 de retard par rapport au planning au dernier ravito et la barrière horaire est toute proche… Il doit regagner du temps. Passage au sommet et il n’a rapidement plus d’eau, comme beaucoup d’autres coureurs qu’il rencontre. Le Père profite de la flore et mange des myrtilles pour passer la soif.

Les cloques se font de plus en plus sentir, faisant parfois oublier un peu les genoux dans les descentes… il en a 4-5, réparties sur les 2 pieds et ça lance. Au Col de Joly, il demande à se faire soigner les cloques, mais il n’y a pas de soin possible en altitude. On lui propose d’abandonner… Il hésite… A insulter le bénévole ayant fait cette suggestion !!! On en est à 114 km, tu ne veux pas que j’abandonne aussi prêt du bol de sangria, non ?!?!?

114,3km, 7’694m de dénivelé, 1’120ème.

Dans une partie plate, Le Père s’arrête sur un rocher et enlève ses chaussures… Il veut percer ses cloques pour se soulager un peu… Il réalise qu’il n’a plus assez de secondes peaux et que s’il enlève celle qu’il a en place, un bon bout de peau pourrait partir, aggravant le souci… Il laisse tomber son idée de chirurgie au couteau suisse rouillé et repart tant bien que mal.

Il rattrape 2 coureurs qui marchent derrière des vaches…

« Euh, vous faites quoi, là ?
– Ben, on attend qu’elles se poussent… 
– Ok, ça vous dérange si j’essaie à ma façon ?
– Euh… avec plaisir ! »

Le Père sort sa clochette, se met à courir comme un tabané en expliquant aux vaches que, soit elles courent avec eux soit elles les laissent passer, parce que là, merde à la fin, on n’a pas que ça à faire et qu’on n’est pas là pour beurrer des toasts ! Il est possible qu’il ait évoqué un bœuf braisé ou une sauce bolognaise, mais en l’absence de témoin fiable et pour ne pas aggraver le cas du Père vis-à-vis des végans et autres spécistes, nous ferons comme si les vaches avaient tout de suite compris qu’il fallait se bouger les mimines…

Enervé, Le Père poursuit sans attendre ni les 2 autres coureurs, ni les vaches.

La descente fait mal et lui fait perdre du temps. Il a regagné un peu de marge par rapport à la barrière horaire, mais pas de quoi fanfaronner non plus… et il reste 2 montées, dont le col du Tricot…

123,4km, 7’725m de dénivelé, 1’105ème.

Au ravito des Contamines, il fonce vers le kiné et demande massage et surtout soin des cloques…

« Euh… 
– Quoi euh ?! 
– Vous êtes sérieux ? Vous avez vu l’état de vos pieds ?! 
– Euh non, j’ai sentu… 
– J’ai pas le temps de tout faire… avant la barrière horaire. 
– Ok et bien faites ce que vous pouvez, c’est toujours ça de pris, je repars dans 30 minutes ! »

2 cloques sur 5 sont traitées… Ça ne veut pas dire que cela ne fait plus mal… Mais ça devrait aller. Ça remonte. Le Père cumule près de 5h de retard sur son planning. Il se bouge, essaie de s’énerver encore un peu plus, avance comme il peut.

On est sur la fin de la course. Peu de monde à ce stade, on passe pas mal de temps seul ou avec une personne pendant un moment. On double et se fait rattraper… Ça avance. Une descente sèche et…

Le Père aperçoit, en face de lui, la montée du col du Tricot. On voit des coureurs, espacés, sur le flanc de la montagne. Ça a l’air raide. Le Binôme a prévu 1h20 entre le Truc et le Tricot, les 2 derniers cols. Le Père décide de prendre un peu de marge pour le reste, ou pour améliorer son temps pitoyable s’il finit…

Il entame la montée du col du Tricot. Ça commence à trotter dans la tête du Père : il ne reste que 2 ravitos, 2 barrières horaires, moins de 16km, dont 8 au plat… Il pourrait finir !!!!!!!

Le Père s’arrête subitement en pleine montée et appelle son hôtel :

« Bonjour, que puis-je faire pour vous aider ? 
– Bonjour, je dors chez vous ce soir, pourriez-vous me faire préparer pour 22h un plateau avec : melon, abricots, framboise, une soupe et une salade mêlée ? 
– Je vais vous faire mettre ça de côté, ça vous attendra à votre arrivée ! »

Oui, là, à cet instant, en pleine montée et au soleil, Le Père vient de se rappeler qu’il lui faut une carotte et prévoir un repas pour après, dans le cas de moins en moins improbable où il survivrait…

L’esprit plus léger, il attaque la montée comme il peut. Il met moins d’une heure là où le planning prévoyait 20 minutes de plus. Il s’imagine donc, tranquille jusqu’à l’arrivée…

Eehheeheheheheheheehehehehhe !!!!!!

130,5km, 8’845m de dénivelé, 1’085ème.

Après le col, il reste une descente assez raide et un ravito avant de descendre sur les Houches… Ce à quoi Le Père n’a pas prêté trop attention, lecteur attentif et atlasophie, c’est qu’en fait après le sommet du tricot, la descente assez sèche est compliquée : chemin très creusé et pas large qui ne permet pas au Père d’avancer comme il faut… Le Binôme a prévu 50 minutes pour ce morceau et Le Père a de la marge, mais rapidement, il réalise que ça va être très chaud…

Il descend et perd du temps… Les sentiers creusés sont catastrophiques pour les chaussures larges du Père (on évite de se moquer, lecteur avide et goguenard, et de dire qu’il chausse du 82, il pourrait se vexer et distribuer des blâmes à coup de bâtons composites… En même temps, c’est compliqué de mesurer plus de 2m et de chausser du 36, un peu de cohérence, que diable !) qui frottent délicieusement la malléole (oui, il a mis des pansements à Bourg-Saint-Maurice, mais là on est bientôt à travers…). En bas de la descente, un bout plat… enfin plat…

Un bout de diagonale pourri, où le chemin est tellement en dévers que Le Père à peur de se prendre une volée à plusieurs passages… C’est aérien et pas pratique, par roulant du tout… Il perd du temps et commence à stresser !

Le Père arrive à une… passerelle ?!? Là, je vais prendre une minute pour faire une remarque abstraite de portée générale…

Eh… sérieusement ?!

Si ça s’est un pont, le string de la frangine Kardashian est un burkini !!! Les plus âgés de mes lecteurs se souviennent d’Indiana Jones ou leurs parents du Diamant du Nil et autres grands films des années… enfin des années quoi !

Vous voyez le genre de passerelle dont je parle : le machin branlant, 2 cordes plus ou moins tendues au-dessus d’un ravin abyssal sur lesquelles sont posées en équilibre instables des planchettes moisies dont certaines manquent ? Pareil, mais avec des câbles métalliques à la place des cordes… On est en France, quand même ! Il y a même une ou deux planches cassées… Le Père hésite à repartir en arrière et retourner à Courmayeur dans l’autre sens !!!!

Ok, Le Père passe, rapidement, se cramponnant, ne prenant même pas le temps de prendre une photo (probablement la barrière horaire et les boules de tomber) et entame la montée un peu raide qui mène au ravito.

Là, lecteur admirateur et attendri, Le Père est en panique… Il n’est plus qu’à 14km de l’arrivée, très proche du ravito et il va se faire éliminer par la barrière horaire… Il jure, s’énerve, hurle 1 fois ou 2, de toute façon personne n’est là pour l’entendre, accélère comme il le peut, c’est-à-dire pas vraiment… Là, Le Père repense à l’incident de l’année précédente qui avait vu des coureurs frapper des bénévoles qui les avaient éliminés du fait de la barrière. Il avait critiqué ces actes à ce moment-là, mais à cet instant précis, il pourrait presque les comprendre…

Le ravito est enfin en vue. Le Père accélère et entend le responsable du ravito dire à un bénévole : « Va à sa rencontre pour scanner son dossard un peu plus tôt ! »

19h28. La barrière est à 19h30. Le téléphone du Père est formel, il est passé à 2 min de se faire cramer. Les bénévoles sont plus que sympa : 4-5 personnes passent après Le Père. Officiellement, il passe le ravito à 19h19… Remplissage de flasques, Le Père repart pour la dernière descente.

134,5km, 8’983m de dénivelé, 1’076ème.

Pause pour ranger les bâtons, boire un coup et il descend comme il peut. Il courrotte, marchouille, boitille, avance comme il peut mais se dépêche.

En bas de la descente, dernier ravito : Les Houches ! Alors qu’il approche du ravito, quelqu’un hurle son nom et l’encourage. Encore quelqu’un de Léman Trail qui lui redonne la pêche pour quelque temps. C’est pas long, mais ça fait tellement du bien, ces petits boosts !!!

139,1km, 8’983m de dénivelé, 1’080ème.

Là, je sais, lecteur sportif, que tu te dis : bah il lui reste 8km, en 1h30, s’il met plus d’une heure, on l’enduit de colle et on le roule dans le gazon pour le transformer en bonhomme cétélem des pub françaises !

Mouais. C’est ce que je disais aussi… Avant !

Etonnamment, après 139km, 25 minutes de sommeil, quelques cloques et un genou, 8km c’est long… Très long… Interminable… Le Père court, marche, court, marche… Double 12 personnes. Il n’y a plus de barrière horaire, mais il n’y pense pas, fait le vide dans sa tête.

En arrivant à Chamonix, un jeune de Hong Kong l’encourage et lui parle un moment. Actualité et soulèvement des jeunes font passer le temps… L’entrée dans la rue principale, noire de monde, aux tables et aux bistrots, tout le monde qui t’encourage, c’est incroyable et difficile pour la tête…

100 mètres… Des applaudissements, des mains tendues…

50 mètres…

« Si l’on est plus que mille, eh bien j’en suis ! Si même 
Ils ne sont plus que cent, je brave encore Sylla ;»

25 mètres… dernier tournant, l’arche d’arrivée est là…

<3

« S’il en demeure dix, je serai le dixième ; 
Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là ! »

Le Père passe la ligne d’arrivée, se fait photographier… Il tient encore debout, respire toujours… Ok, il est 1068ème… Et il n’y aura que 1091 classés… Mais, à ce moment-là, il s’en fout grave !

146,9km, 9’113m de dénivelé, 1’068ème, 1’091 classés, 1’700 au départ, 41h39’07’’.

Son téléphone sonne… Madame ne peut pas parler, tellement elle est émue… Le Père ne pleure pas, lui, lecteur sentimental et mièvre, il ne faut pas déconner non plus, c’est la génération Chuck Norris ! Il transpire des yeux !

Il passe récupérer le gilet de finisher et rampe jusqu’à son hôtel. Quand il voit le gilet sans manches, il se dit : «Tout ça pour ça ?!?!» Ça lui fait penser à la scène du gilet dans le Père Noël est une ordure : « Si vous saviez ce que ça tombe bien, je m’disais encore hier soir qu’il me manquait quelque chose pour descendre les poubelles ! »… Mais il est trop épuisé pour faire de l’humour.

(Allez, c’est ma chronique, lecteur serpillèreophile, je vous le remets pour le plaisir, même si Noël est passé : https://www.youtube.com/watch?v=kEubXuWpRc8 )

Il se déséquipe, boit sa boisson infâme de l’après-course, mange son plateau-repas. Il essaie de répondre aux messages de toutes les personnes qui l’ont soutenu ou ont pensé à lui. Il s’assoit sur son lit comme il peut pour se déséquiper.

Les papiers et autres gels vides ramassés pendant la course ont fait un trou dans la peau de sa hanche… 149km de frottement, ça ne pardonne pas ! Son dossard, qu’il a mis sur l’arrière après un moment, a aussi quasiment fait un trou dans son short. Ses pieds donnent l’impression qu’il a fait 2 tours de la terre pieds nus. Un bain lui redonne odeur humaine. Séance d’épilation des genoux et des chevilles.

Le Père se sent soulagé. Il a mal partout, mais a fini. Il se met sur son lit pour finir de se déséquiper et commence à régler son réveil…

Pour la première fois de sa vie, Le Père s’endort en réglant son réveil !? Il se réveille malgré tout pas trop tard et constate avec surprise qu’il est encore apte à bouger ! Il réalise aussi qu’il n’est même pas allé chercher son sac du ravito de Beaufort… Et il faut aller jusqu’à la halle de gym dans laquelle sont remis les dossards… à l’autre bout de Chamonix, pour récupérer ça…

Il enfile des tongs, seules chaussures qu’il puisse envisager, va faire quelques courses et revient à son hôtel… Il assiste à l’arrivée de 2 coureurs qui finissent la PTL… 300km, 25’000 m de dénivelé… Les coureurs pleurent trop pour pouvoir répondre à l’animateur… Quel sport de taré !

Quand il repart de Chamonix le lendemain, Le Père est serein. Il s’arrête pour faire une dernière photo du Mont Blanc et rentre tranquillement. Il ne veut plus parler de course… Enfin, plus pendant un moment en tous cas… Jusqu’à la prochaine !

Va dormir, lecteur enthousiaste et fidèle, entre la gastro, les punks et l’hiver, tu pourrais bientôt avoir besoin de forces !

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